Cette pièce d’Adeline Rosenstein, est tout à fait étonnante, déroutante peut-être parfois. On peut appeler cela du théâtre documentaire. Quelque chose de l’ordre de la conférence théâtrale. Il s’agit, ici, de démêler le nœud d’une histoire bien difficile à comprendre et à analyser, celle de la Palestine et d’Israël. Ô sujet complexe, combien de gens honnêtes se perdent à essayer de te comprendre. Pourtant Adeline Rosenstein, par le truchement d’une forme documentaire et d’une forme théâtrale réussit ce pari. Le spectateur suit et apprend et comprend au fur et à mesure les rouages de ce conflit vieux de plus de cent ans.
Adeline Rosenstein remonte jusqu’aux guerres napoléoniennes en Égypte. Traite de l’Empire Ottoman, des questions relatives aux différents accords, traités, congrès du 19e siècle, qui ont conduit tragiquement un territoire vers un déchirement qu’il est aujourd’hui difficile de recoudre. Elle touche des points cruciaux, des questions brûlantes et renverse la réflexion sur le sujet en tentant de traiter le conflit d’un point de vue non-européaniste. Pour cela, elle mêle des témoignages d’Occidentaux ayant vécus en Israël ou en Palestine à des pièces de théâtre historiques de dramaturges arabes des pays concernés. Elle fait intervenir également des professeurs d’université qui l’aident dans son entreprise de traduction. C’est un véritable chantier historique auquel nous assistons en tant que spectateur. Un véritable travail de recherche, d’analyse. C’est en cela aussi que cette pièce interpelle. Une forme narrative intrigante mais efficace. Et donner la parole aussi aux colons israéliens, par la reconstitution de la Commission de la vérité publique (commission lancée par l’association israélienne Zochrot, pour le rétablissement de la vérité quant aux crimes commis par les Israéliens sur les Palestiniens en 1948, lorsque les villages palestiniens ont été rasés, brûlés, et que les populations ont été déplacées), ainsi qu’à certains Palestiniens ayant fui leur village en 1948, tout cela contribue à élever la pièce au rang des témoignages historiques.
« Il ne faut pas pleurer, si tu pleures, ça te soulage toi, mais ça ne soulage pas nous, il faut s’énerver », lui dit un dramaturge concerné par le conflit.
La pièce est divisée en quatre parties. Chaque partie est divisée en rubrique. Une forme ludique. Pédagogique. Un traitement conférencier, mené par Adeline Rosenstein, qui explique, guide finalement le spectateur dans sa quête, celle qu’elle a menée pour l’écriture de cette pièce, entrecoupé de mises en situation, de reconstitutions, souvent traitées avec beaucoup d’humour et de finesse, des interventions personnelles, des témoignages, des mises en abîme… un véritable récit documentaire rythmé par une chorégraphie visuelle qui interroge aussi sur le rapport que nous avons à l’image. Ici, pas d’image. Seulement de la suggestion. Un travail sur l’imagination… des comédiens réinventent la cartographie, les témoignages visuels ne sont que des boules de papier mouillé jetées contre les panneaux de bois (4) qui forment avec une porte l’unique décor. Elles sont jetées et on nous interpelle l’air de dire, »voyez, voyez bien sur cette peinture, sur cette photo, sur cette carte postale… » Bien entendu nous ne voyons rien, alors nous imaginons.
Que l’on soit profane en la matière, ignorant des véritables entremêlements historiques de ce petit territoire, ou que l’on soit tout à fait initié à ces questions, cette pièce apporte des éclairages tout à fait intéressants, originaux… Par moments, la forme théâtrale pouvait presque faire penser à ces web-émissions que l’on voit fleurir un peu partout sur le net… vous savez, ces mini-programmes censés nous expliquer en trois minutes la vie de tel peintre, ou de telles œuvres, ou encore tel conflit…, par le truchement de différents outils multimédias… on ressent un peu cette influence ici. Il m’a semblé en tout cas.
C’est donc une pièce surprenante, mais dans laquelle on se laisse emporter, et de laquelle on ressort enrichi, grandi certainement, mais n’est-ce pas là une des missions du théâtre ?
Décris-Ravage se rejoue ce soir, jeudi 9 avril à 20h30, au Théâtre de La parcheminerie
Décris-Ravage – Une pièce d’Adeline Rosenstein – Durée : 2h30 – Interprétation et mise en scène: Julia Strutz, Erbatur Çavuolu, Jérémy Rosenstein