Imagine le reste, du Normand Hervé Commère : un polar sur les ruses du réel que nous échafaudons, déjouons, ou dans lesquelles nous tombons…
Séparés en chapitres distincts, trois destins s’entrecroisent (Karl, Nino, Serge) et se rejoignent (All together). Ça démarre dans le Nord-Pas-de-Calais – si on met de côté le prologue sicilien qui amorce l’intrigue, centrée autour du chanteur à succès Nino Face, qui a atterri à Messine Dieu seul et Hervé Commère sachant pourquoi.
Karl Abkarian et Fred Avanzato sont deux petites frappes au grand cœur dont les noms illustrent la mixité des influences nationales – et peut-être aussi le goût de l’auteur pour les clins d’œil puisque son portrait, en quatrième de couverture de ce roman noir, est dû à une certaine Melania Avanzato… Ils vivent de petites combines. Ils aiment James Brown et biberonner des bières et des cafés en terrasse. Ils fréquentent Le Paradiso, bar-karaoké calaisien où bosse Nino qui ne connaît pas encore la réussite suggérée dans le prologue.
Fred est ambitieux. Il veut réussir un gros coup. Dans sa ligne de mire : Serge Cimard, un gangster homosexuel, une pointure qui a fait fortune grâce à des affaires rondement menées – qui sinon lui auraient valu perpète. Fred est patient. Il va attendre plusieurs années avant de mettre à exécution son plan et de rafler la mise – mais nous sommes dans un roman noir et chaque victoire masque une lose plus ou moins définitive. En même temps, mise à part leur indéfectible amitié (qui elle aussi sera mise à mal), Fred et Karl ont-ils jamais cultivé autres choses que des projets minables ? L’échec et la déroute seraient-ils inscrits dans leurs gènes ?
Tirer son épingle du jeu est un art délicat. Fred et Karl, y compris en amour, jouent de déveine. Nul salut pour ces accablés du destin… Pendant ce temps, Nino Face connaît quant à lui d’heureuses opportunités grâce à un manager hors-pair, Ralph Mayerling, qui voit la musique en couleurs. Ralph a la classe internationale des mentors à poigne, le feeling esthète des grands dandys, l’expérience et l’humilité des vieux renards, le bon goût de ceux qui ont goûté à tout. Son idée : constituer un groupe, Ligth Green, autour d’une couleur vert pâle donc, qui transformera chacun de ses membres (plus ou moins sortis de nulle part) en stars planétaires de pop-rock bling-bling – ça fait forcément rêver… Évidemment, il y a un « mais » : ce succès décoiffant les place au devant de la scène ; or, pour certaines raisons que je ne me permettrais pas de dévoiler ici, Nino Face serait bien avisé de rester aussi discret qu’anonyme.
Imagine le reste, avec le charme et l’habileté qui caractérisent l’auteur, est ainsi une gymnastique permanente, un grand écart, une jonglerie malicieuse avec ces concepts que sont l’honnêteté, la triche, l’ambition, l’illusion, la réussite sociale, la fatalité et leurs contraires. Imagine le reste est écrit à hauteur d’homme, on y entre comme dans un troquet de quartier accueillant, où on pourrait avoir ses habitudes. On y rencontre d’extraordinaires individus, des gus qui cachent leurs jeux ainsi que des destinées aussi banales qu’un lever de soleil sur la place de l’Étoile.
Ils sont nombreux ! Le groupe de James Brown dans les années 70, bien sûr, une sorte de big-band funk impeccable. Plein de groupes ou chanteurs de cette époque, qui me donnent quand je les écoute l’impression qu’ils produisaient des chefs-d’œuvre à chaque enregistrement : Earth Wind and Fire, Stevie Wonder, Curtis Mayfield, Tower of Power… Il y en a plein !
« Le soir venu, il se transformait en démon des platines »
- Y a-t-il des bars bien réels où tu aurais traîné tes guêtres pour imaginer Le Paradiso où officie Nino ? Et si oui, peux-tu nous communiquer ces bonnes adresses ?
J’ai été barman sur un bateau sur le Rhône il y a vingt ans. On faisait escale en Ardèche, dans une petit village qui s’appelait Viviers. Avec les collègues, on allait parfois boire un verre dans un bar. C’était un PMU mais le patron rêvait de tenir une discothèque. Le soir venu, il se transformait en démon des platines, il avait des spots incroyables, des enceintes énormes : on se mettait à une table, il n’y avait que nous, hilares, et lui se croyant au Palace, qui mixait n’importe comment dans la lumière des stroboscopes. C’était surréaliste. Je crois que l’image de ce type m’a un peu influencé quand j’ai décrit Nino, même si les situations du personnage sont bien différentes de ce que j’ai vu à l’époque en Ardèche.
- Tu es fâché avec le Nord-Pas-de-Calais ?
Pas du tout, non ! Je ne suis allé qu’une seule fois à Calais, pour prendre le bateau vers l’Angleterre, et les quelques heures que j’ai passées dans cette ville m’ont donné l’idée que si j’étais né là, j’aurais probablement voulu partir. Mais ça n’engage que moi. Je suis né à Elbeuf, en banlieue de Rouen, et j’ai voulu en partir aussi !
- Quels sont les auteurs qui te servent de modèles et dont tu peux dévoiler les identités ?
- Quels sont les projets littéraires sur lesquels tu travailles ?
- As-tu l’ambition de te consacrer uniquement à l’écriture, ou bien le fait d’avoir plusieurs activités professionnelles procure-t-il un équilibre fertile, enviable et sain ?
- Que peut-on te souhaiter ?
Désolé mais je n’en ai pas… J’aime Jean-Paul Dubois, Tonino Benacquista, Nicolas Rey, Fred Paulin (du collectif Calibre 35, ndR), Philippe Jaenada, et d’autres, mais aucun d’eux n’est un modèle.
J’ai travaillé durant plusieurs mois sur un projet de film, histoire à suivre. Par ailleurs, je viens de finir une nouvelle pour Calibre 35, le recueil sort au printemps je crois (Maillot noir, préfacé par Jean-Bernard Pouy, à sortir très prochainement aux éditions Goater, ndR). Enfin, un roman mûrit sous mon crâne en ce moment, dans lequel il n’y aura pas de musique du tout, je crois.
Je n’en sais rien du tout, à vrai dire. J’aime écrire à mon rythme, quand j’en ai envie, je ne veux pas que ce soit une obligation. J’aime aussi bien mon travail en librairie, mes collègues. En fait, tout va bien, quoi !
De vivre longtemps, parce qu’il y a encore plein de choses que j’aimerais faire.