Timbuktu, un film d’Abderrahmane Sissako

Timbuktu est un film franco-mauritanien sur l’arrivée des islamistes dans la ville de Tombouctou et sur la charia qu’ils imposent. Un film surtout sur la résistance des habitants. Un film poétique. Un film aussi où les yeux des hommes, qu’ils soient djihadistes ou non, renferment des incertitudes et des peurs. Un film concret, pas le moins du monde manichéen.

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J’écoute « Timbuktu Fasso » de Fatoumata Diawara et Amine Bouhafa. Cette chanson est entonnée dans le film. Quelques jeunes sont allongés dans ce qui semble être une chambre ou bien la salle d’une habitation. L’un d’eux est assis, il gratte une guitare, ses doigts glissent sur l’instrument en douces caresses, une torpeur règne dans la pièce. Une femme est allongée à côté de lui, ses yeux sont emportés au plafond mais elle rejoint le groupe de temps à autre, le sourire plein et les yeux brillants. Un autre homme joue d’un instrument local, un autre encore tape le rythme sur sa poitrine et une femme allongée aussi claque des doigts… La torpeur se transforme en un rythme envoutant et la femme allongée aux yeux brillants entonne « Timbuktu Fasso »… Et ça résonne encore dans ma tête. Les jeunes qui composent la police islamiste de Tombouctou fouillent les rues de la ville pour trouver d’où vient cette musique. Les rues et les toits. La musique est interdite. Les jeunes musiciens seront condamnés à 40 coups de fouet.

Un film sur la résistance des femmes, des hommes, des jeunes

Les règles insensées comme celle-ci sont nombreuses et la population ne s’y fait pas. C’est en cela que c’est un film sur la résistance des femmes, des hommes, des jeunes… Interdiction de jouer au foot. L’équipe de foot de la ville se réunit alors au terrain et joue malgré tout, sans ballon certes, mais elle joue, et les jeunes courent, un sable foncé s’envole lorsqu’ils frappent le ballon invisible, le gardien l’arrête, relance la balle et tous recourent dans l’autre sens pour rattraper le buteur de l’équipe adverse.

Je veux dire, tout est tourné en poésie. Chaque scène est d’une beauté incroyable. Chaque personnage a un sens. Et dans chaque paire d’yeux, je dis bien chaque, une humanité fulgurante se dégage. Le foot est interdit, pourtant trois djihadistes, qui attendent dans une des rues de la ville qu’on leur donne un ordre probablement, débattent sur Zidane et Messi.

La musique et la danse sont interdites. Abderrahmane Sissako se permet de faire de l’un de ces hommes un danseur. La scène subjugue. Personne, croit-il, ne le regarde, son corps s’étire, il s’enfuit en ondulations incroyables, prend appui sur la terre qu’il disperse…

La cigarette aussi est interdite et pourtant l’un d’eux fume.

Lyrique, spirituel, humaniste…

Voilà la subtilité qu’apporte Abderrahmane Sissako. Il crée un film à la fois doux et poétique, mais aussi extrêmement maîtrisé sur les émotions et le récit. Lyrique. Romanesque. Spirituel. Humaniste. Un film dont la définition pourrait compter plusieurs milliers de mots.

Je suis sorti particulièrement ému de la salle de cinéma. Je ne parle jamais en sortant d’une salle de cinéma. Je ne soufflais que du blanc à cause du froid. Et il y avait « Timbuktu Fasso » qui résonnait dans ma tête avec la voix douce et belle de cette jeune femme.

Je suis sorti sans dire un mot. Je n’en pensais pas moins. Le film que je venais de voir était à coup sûr un film d’une portée véritablement universelle. Et pas seulement parce qu’il parle de djihadistes… Pas non plus parce qu’il y a 2 semaines la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée… Pas du tout… Pas parce que Boko Haram tue, brûle et propage un chaos sans nom au Nigeria et autour du lac Tchad, mais parce qu’il parle de résistance, il évoque humblement la liberté, je dis humblement pour moi, parce que ces derniers temps nous entendons partout, à la télé, à la radio, dans la bouche de certaines personnes, de beaucoup, ce joli et incompréhensible mot « Liberté ». Ça me met en rage, croyez-moi, parce que personne ne sait ce qu’est la liberté… Il fait partie de ces grands mots, de ces jolis mots, de ces mots dont le sens échappe à tous et principalement à ceux qui en parlent le plus… Alors ça m’énerve de les entendre tous parler de liberté… Et voyez-les parler de liberté alors qu’on en prive certains, alors qu’on a brimé celles d’autres peuples et qu’on le fait toujours, d’une manière ou d’une autre… Par les plans d’ajustement structurel, par le néocolonialisme économique… Je n’en peux plus d’entendre ce mot…  Et donc voilà pourquoi je trouve que ce film évoque humblement la liberté.

Mais c’est avant tout un film humain, un film émouvant, un film dont les images superbes empruntent à la vie ses plus belles couleurs.

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Timbuktu  de Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki – Sortie le 10 décembre 2014

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