Un homme est mort. J’écris, nous sommes le 5 janvier 2015. Hier, 4 janvier, un homme est mort. On trouvera des correspondances comme la mienne un peu partout… la référence la plus belle étant celle-ci : un homme est mort. Vous verrez, ou bien avez-vous déjà vu, tous les journaux titrent ainsi la mort de René Vautier.
Les hasards sont parfois malicieux… j’ai lu, il y a peu, la bande-dessinée de Kris et Davodeau Un homme est mort qui retrace l’histoire du témoignage filmé et disparu de René Vautier sur la mort d’Édouard Mazé le 17 avril 1950. En plein cœur du mouvement ouvrier du chantier de reconstruction de Brest, cet homme est mort, abattu par les forces de l’ordre. C’est l’histoire, émouvante, tragique mais aussi éclatante, de la mort de cet homme et du film que René Vautier tourna pour rassembler les forces ouvrières sous une même voix. Je connaissais, bien évidemment, ce René Vautier, pour ses films engagés, en particulier Avoir 20 ans dans les Aurès. Mais je dois, avouer, cette bd me l’a fait connaitre mieux. Alors il y a quelques mois, je m’en souviens très bien, j’ai ouvert mon ordinateur, et j’ai tapé dans la barre de recherche « René Vautier », j’ai vu sa gueule à pommettes rouges, ses longs cheveux blancs, pas bien nombreux et ses yeux qui claquent, qui ne regardent ni l’objectif, ni le photographe, qui me regardent, qui regardent celui qu’il y a derrière le médium. Des yeux furieux et rieurs. Et qui prospectent encore l’avenir. C’est ce que j’ai vu et c’est ce dont je me souviens. Il faut dire que René Vautier est mort et que ça doit certainement bien enjoliver le portrait et tout le reste dans ma caboche de joli menteur. Mais, en vérité, je suis quand même bien certain de ce que j’ai ressenti. C’est aussi et surtout, une sorte d’envie de me bouger le cul. Je me suis dit, quand j’ai refermé cette bd « eh merde », le cinéma, la caméra, c’est vraiment un moyen de se bouger le cul… comme le théâtre. Comme la littérature. Comme la musique. Puis, ça a défilé dans ma tête, toujours elle, et j’ai compris que des cinéastes comme lui, y en avait plus beaucoup. C’est pas un regard de vieux con. On a toujours du cinéma engagé… mais Vautier c’est ce qu’on peut appeler un rebelle, un vadrouilleur, un artiste armé, un cinéaste du réel… il est un peu comme un écrivain à mes yeux, un écrivain qui décrit ce qu’il voit, qui y va et qui n’hésite à foutre des « merde, putain » dans ses textes parce qu’il faut les dire, qui n’hésite pas… La bd est un beau témoignage. Je veux dire, une belle manière d’aborder n’importe quel sujet. C’est mon avis. Combiner l’écriture et le dessin permet de doubler l’émotion. Ici, la plume de Kris, scénariste engagé… on le connait pour Le déserteur et le récent Notre mère la guerre. Brestois, donc Finistérien comme René Vautier. Et le dessin et la couleur d’Étienne Davodeau, lui on le connait aussi pour Les ignorants, Les mauvaises gens, Lulu femme nue, etc. Donc deux beaux morceaux pour un beau témoignage.
On est sur du genre documentaire avec cette bd. On suit les événements d’avril 1950 sur le chantier de reconstruction de la ville de Brest. Brest a été détruit pendant la guerre et la reconstruction prend du temps. Mais les ouvriers sont mal payés, très mal payés. Pourtant, ce sont eux qui posent les pierres et qui reconstruisent toute cette foutue ville. Une grève. Des piquets. Des manifestations. Un arrêté de dernière minute interdisant la manifestation. Des tirs. Un homme est mort. Édouard Mazé. René Vautier arrive à Brest le lendemain. Il filmera les ouvriers en deuil, la cérémonie d’adieu… et pour la bande-son, il lira le poème « Un homme est mort » de Paul Éluard. Et il ira diffuser ce film à tous les piquets de grève, dans les campagnes environnantes… et là ce sont des poings qui se lèvent, des larmes qui s’échappent, et des corps qui se serrent… s’ensuit un élan de générosité et de solidarité pour les grévistes.
Si ce n’est pas d’actualité je n’y comprends rien. Merde, et j’ai envie de le gueuler… c’est fou toutes les conneries qu’on peut entendre parfois… mais j’entendais l’autre jour dans la bouche d’une personne dont je tairais le nom, que les mecs comme Rémi Fraisse, finalement, ils le cherchent bien ce qui leur arrive. « Et que c’est quand même quelque chose d’être toujours contre tout ». Ils n’ont pas grand-chose dans le cœur, dans les tripes et dans la tête les mecs qui sortent des conneries pareilles, il faut le dire. Non seulement il est de notre devoir de toujours observer, de toujours critiquer, de toujours se révolter… mais il est de nécessité publique que de servir de contre-pouvoir… nous sommes déjà suffisamment abrutis et dociles.
Pourtant il y aura toujours de belles gueules lisses, aux yeux écarquillés, aux chemises repassées, à servir de la théorie niaiseuse sur les mouvements ouvriers, écologistes… « c’est pénible ils sont toujours en train de se plaindre de quelque chose ou d’être contre quelque chose, il faut que la société avance hein »… Je suis pourtant presque sûr que si on met la bd de Kris et Davodeau sous les yeux de ce genre de type, on entendra des trucs du genre « ah quand même, à l’époque quand ils manifestaient c’était pour quelque chose… » et on verra presque des petites gouttes argentées au coin des yeux. C’est dire. Pourtant, cette bd et de manière générale, le travail de René Vautier est un moyen extraordinaire de se souvenir et de ne pas oublier que nous devons ouvrir les yeux.
René Vautier me donne envie de me bouger le cul, ça c’est clair. Mais malgré tout, je suis déçu. Je suis déçu, parce qu’hier, j’ai appris sa mort. Savez-vous comment ? Sur Facebook. Je suis allé jeter un œil à mon compte sur les coups de 19h je crois. Et j’ai lu « Un homme est mort ». J’ai compris tout de suite. J’ai lu deux-trois choses à ce sujet. J’ai continué, comme un con, ma descente du fil d’actualité Facebook et j’y ai vu beaucoup plus de RIP Framboisier (le mec du Club Dorothée) que d’hommages à René Vautier.