Léviathan d’Andreï Zviaguintsev : un drame russe mordant.
Sur les bords de la mer de Barents, Kolia (Alexeï Serebriakov), veuf, en chie. Son garage et sa maison natale sont la proie du gros maire corrompu du village. L’expropriation le guette, lui et sa famille. Il a beau avoir une nouvelle compagne charmante (Elena Liadova), ouvrière dans une usine de poissons, un fils adorable (quoiqu’en bisbille avec sa marâtre) et un ami avocat venu de Moscou pour lui prêter main forte (Vladimir Vdovitchenkov), la partie semble perdue d’avance. Sous un ciel gris, dans un décor minéral et glacial, le désespoir de Kolia et de ses proches semble encore plus vaste, voire sans fin. Face à une justice caricaturale (les scènes avec la juge sont juste époustouflantes), face à des administrations policières ou municipales pour le moins vermoulues, face à des déboires qui s’accumulent, la vodka et la résignation seraient-elles les seules tristes issues ? Léviathan propose une lugubre vision de cette excentrée contrée russe, âpre, dominée par des forces hostiles, sauvages, et peuplée d’individus pas toujours recommandables (un maire mafieux et des fonctionnaires à l’avenant, un clergé puissant qui place Dieu au-dessus de tout et auquel il vaut mieux se soumettre, des alcooliques au volant, ou armés, des policiers un peu minables et des femmes courageuses qui dès l’aube travaillent dans une usine de retraitement des prise pêchées dans la mer de Barents toute proche…).
En dépit de ses demi-airs d’« Hutch » Hutchinson (David Soul), Kolia (Alexeï Serebriakov), veuf et malchanceux, n’en mène pas large. Qui plus est, Lylia, sa (trop?) avenante nouvelle compagne (Elena Liadova), ne lui sera pas d’un grand secours dans cette épreuve.
Sans fausse note, Léviathan joue une partition à la fois belle, profonde, émouvante et corrosive. Une métaphysique de la fatalité (où se combinent la beauté de la nature et la cruauté des hommes) se déploie dans cette œuvre qui a d’ailleurs été fort judicieusement primée à Cannes. L’affiche, avec ce squelette de cétacé, en est l’une des représentations récurrentes. Léviathan nous met face à la brutalité des hommes et à leurs ridicules sorts. La morale y est mise à mal. La grisaille et la noirceur sont omniprésentes. La dureté et la bêtise suintent de chaque pore de cette population rustique. Même les amours et la fête sont ici spongieuses, fragilisées, considérés comme causes de tous les maux et sources de tous les péchés. Léviathan : une tranche d’humanité sans concession ni obséquiosité. Le réel y est décrit, pourtant, avec ce qu’il faut d’absurde, de grotesque, ou de tragique, pour qu’on s’y sente, curieusement, plutôt bien.