Les éditions Lunatique, situées à Vitré, publient de petits livres. Petits par leur format, car les textes ne manquent pas de piquant, à l’image de ce Journal d’un foetus, 1ère œuvre de Benjamin Taïeb. Une plongée sans respiration dans quelques litres de liquide amniotique et plein d’aigreur.
À peine une cinquantaine de pages, et aucun point en fin de phrase, seulement à la délivrance finale; une asphyxie en guise d’accouchement littéraire ? Le texte est violent, car bébé est furieux. Il en a franchement ras le cordon d’entendre sa mère lui parler sans cesse, d’entendre son géniteur ronfler, et la description du monde extérieur à travers la paroi utérine, ça a pas l’air de vendre du rêve.
« tu t’appliques tellement pour imiter la poule ou l’éléphant, c’est effrayant, et la vache, j’arrive pas à croire qu’elle bouffe que de l’herbe avec ton cri la vache, et t’insistes en plus (…) comme si le bruit de tes instestins et de ta circulation sanguine ne suffisait pas, je bouffe ta musique insipide à longueur de journée, des classiques tu dis, chantés par des pauvres gosses séquestrés dans une chorale »
À la lecture de ce journal d’un fœtus, n’importe quel freudien pourrait en déduire que le complexe d’œdipe de l’auteur est bien loin d’être réglé, que par ce livre il tue la mère, et que quand même, faire parler un fœtus, qui ne fait que râler, c’est tout de même pas très moral. Mais qu’est-ce que c’est drôle. Car, sans s’arrêter comme un babillage malhabile (et surtout complètement surréaliste), la future progéniture a un ton mordant, cynique à souhait, à vous dégouter d’avoir des enfants ou regarder de travers ceux que vous avez déjà. S’en prenant d’avance aux (futurs) problèmes du couple, cet enfant a également déjà une bonne analyse de la société de consommation, à travers son énumération de listes interminables, comme la fameuse « liste de naissance ». Donc vos amis seront ceux qui le jour d’un heureux évènement courront chez ®Aubert se cotiser pour la poussette. Et il y a ceux qui vous offriront un livre.