Un été-ciné avec Kate, Scarlett, Vivian, Ronit, Simone, Dusty et les autres

Pot-pourri pour ne rien rater (ou presque) des sorties ciné qui ont eu lieu cet été.

Naturellement éclatante (même s’il ne s’agit que d’un second rôle sans réelle épaisseur) dans Divergente de Neil Burger, Kate Winslet est Jeanine Matthews, une « Érudite » implacable et psycho-rigide persuadée que pour perpétuer le système (qu’elle prévoit de diriger tout simplement), il faut éradiquer les rares individus qui disposeraient encore d’un libre-arbitre, a fortiori si celui-ci, exacerbé, tend à faciliter la remise en cause dudit système. Face à elle, Béatrice « Tris » (Shailene Woodley) est issue d’une famille d’« Altruistes ». Traditionnellement, dans ce monde issu de l’imagination de Veronica Roth dont les livres ont inspiré le film, les Altruistes gouvernent, car désintéressés. Jeanine entend bien leur confisquer cette prérogative. Arrivée à l’âge adulte, autrement dit à l’heure des choix irrévocables, Tris rejoindra la faction des « Audacieux » – censée assurer la sécurité de ce Chicago futuriste post-apocalyptique – qui a légion de points communs avec une milice paramilitaire façon Sturm Abteilung* dont les costumes auraient été revisités par un Jean-Paul Gaultier en panne d’inspiration. Tris fait partie des citoyens de ce petit monde très compartimenté, en castes très peu perméables, à oser questionner (puis braver) ce régime tyrannique. Ses rapports avec Jeanine vont donc se tendre, et se développer dans un conflit de générations et de valeurs. Ses racines altruistes et sa formation poussée chez les Audacieux suffiront-elles à déjouer les plans de Jeanine ?

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Jeanine en tailleur bleu marine.

Quoiqu’un peu caricaturale, cette ode à l’autodétermination de son destin et au droit de tenter de le choisir en conscience ne fera pas de mal en ces temps grégaires où tant de concitoyens se montrent capables de voter pour une blonde (dont nous tairons le nom car à L’Imprimerie, nous ne sommes pas là pour prendre parti) elle aussi titillée par les démons d’une ségrégation éhontée et par les incubes de la plus vénale des oligarchies**.

Pour ceux que la science-fiction destinée aux teenagers rebute, on proposera Finding Vivian Maier de John Maloof, qui nous plonge dans un Chicago nettement plus vintage capturé par une photographe autodidacte longtemps restée anonyme, mais qui n’a pourtant rien à envier à Henri Cartier-Bresson, Diane Arbus ou Robert Frank.

Quel drôle destin que celui-ci en effet ! Être nounou dans les States des années 50 et 60, vivre chez son employeur, s’occuper de leurs gosses et profiter de la moindre occasion pour saisir des instants saisissants saisis sur le vif dans les rues de Chicago !

120 000 clichés, développés de manière posthume, ont été miraculeusement retrouvés par John Maloof, lors d’une vente aux enchères qui aura, par le plus grand des hasards, permis d’exhumer le fruit de toute une vie d’observation, de re·cadrages, de mises en relief, de portraits et d’autoportraits (souvent réussis qui plus est).

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Couple kissing at beach, Coney Island, NY, 1955.

Fasciné par cette incroyable collection de photographies, de tickets de pressings et autres enregistrements accumulés par Vivian Maier, au demeurant modeste gouvernante secrète, excentrique et solitaire, John Maloof en a donc fait un documentaire. Et c’est un hommage vibrant aux yeux de celle-là qui sut voir ce qui devait être vu ; non seulement la reconnaissance de l’œuvre impressionnante d’une maniaque du Rolleiflex, mais aussi une interrogation (forcément passionnante) sur l’immortalisation du présent, sur la transmission de la mémoire de ce qui fut moments grandioses, insignifiants, heureux, emblématiques ou insolites.

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Souvent photographiés à leur insu, sans artifice, les sujets de Vivian Maier ne se sentent pas obligés de sourire.

Une tout autre vie que celle de cette autre Viviane, filmée dans ce qui ressemble à un reportage à l’occasion d’un très houleux et plus que kafkaïen divorce. Ça se passe dans un tribunal religieux, de nos jours, en Israël. Sujet austère. Une femme (Ronit Elkabetz), mariée à 15 ans, mère de 4 enfants, n’aimant plus son mari, souhaite vivement divorcer. Lui (Simon Abkarian) s’y oppose lugubrement. La loi rabbinique patriarcale en vigueur, qui prône la paix des ménages, l’y autorise et qui plus est le soutient dans cette position de mari tout-puissant. Alors Viviane est coincée. Sous la houlette des juges confits de dogmes chargés de cette affaire, les choses prennent une tournure tantôt tragique, tantôt complètement absurde, quoi qu’il en soit de plus en plus insoluble au fur et à mesure des années qui passent.

Le procès de Viviane Amsalem (de Shlomi et sa sœur Ronit Elkabetz) est ponctué de textes incrustés « Trois mois plus tard », « Six mois plus tard », « 15 jours après », etc., leitmotivs insensés insistant sur la longueur du calvaire que Viviane subit. Face aux louvoiements du mari, aux plaidoiries passionnées des avocats, aux atermoiements des juges, aux témoins qui défilent, aux amis ou à la famille venus soutenir plus ou moins maladroitement l’un ou l’autre des éléments de ce couple qui n’en est plus un, on mesure, effaré, l’aliénation de ces êtres englués dans leur morale, leur perversité, leurs mœurs, leurs rites, leurs douleurs et leurs croyances. Tous semblent prisonniers dans la toile d’une araignée féroce et insatiable. Ce film sur la liberté d’aimer et de ne plus aimer, mais aussi – hélas – sur la possibilité d’entraver, d’assujettir, de persécuter, de contraindre, est absolument splendide. D’une puissance rare. D’une intelligence ultime et fondamentale. Épatant.

Après ces portraits de femmes respectivement éprises de pouvoir absolu, de moments photographiés et de liberté, passons à une mystérieuse camionneuse. Au volant de son fourgon, dans Under the skin de Jonathan Glazer, Scarlett Johansson écume l’Écosse. Elle embarque des passagers, séduits à coups de questions banales. Ces hommes, trop heureux qu’une aussi jolie femme s’intéresse à eux, la suivent sans crainte, emplis d’un désir très humain.

Dans un monde où les hommes n’ont pas le courage de grand-chose, où, paumés, isolés, frustrés, ils deviennent misérables et vulnérables, la moindre promesse de rencontre se transforme en féerie inespérée. La belle conductrice, jouant sur l’emprise qu’elle exerce et en abusant allègrement, multiplie donc les « prises de contact ».

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Qui se méfierait d’une jeune femme portant un blouson en peau de lapin ?

Ce road-movie à travers l’Écosse pluvieuse et les cœurs naïfs des hommes ensorcelés est d’une grande beauté. À sa façon, il reprend le mythe des sirènes qu’Ulysse ne put vaincre qu’en se faisant ligoter au mât de son navire par ses fidèles matelots. Et il le modernise avec brio, proposant une espèce d’allégorie, douloureuse et convaincante, de ces cyber-« rencontres » virtuelles très actuelles qui transforment les hommes en victimes consentantes de mirages fabuleux, et les femmes en prédatrices monstrueuses. Du moins est-ce l’une des multiples lectures que l’on pourra faire de cet Under the skin hypnotique traversé par les mélopées irisées de Mica Levi.

Évidemment, le schéma existentiel tragico-fantastico-érotico-glauque d’Under the skin n’est pas le seul possible. Jimmy’s hall de Ken Loach démontre en effet qu’il est possible d’avoir et de garder une certaine mainmise sur son destin. Ici, on suit le parcours de Jimmy Gralton (Barry Ward). Revenu en Irlande après un exil à New York, il voudrait rouvrir un établissement communautaire où rire, boxer, chanter, danser, se rencontrer, serait autorisé. S’il va profiter de l’aide d’une partie de la population et notamment celle d’Oonagh (Simone Kirby), il va se heurter en revanche aux factions catholiques et autres riches propriétaires qui voient d’un mauvais œil le rétablissement d’un repère d’athées communistes adeptes de l’éducation populaire. Jimmy, Oonagh et leurs amis, sans être sûrs de l’emporter, devront lutter pour imposer leurs vues.

Ah la la, on s’en aperçoit, la religion, l’instruction et la politique, une fois encore, pourtant conçues pour être des éléments émancipateurs et fédérateurs sont donc de nouveau de sombres facteurs de disharmonie. Qu’on soit Noir ou Blanc, juif ou mécréant, homme, femme ou d’un autre genre indéterminé, qu’on soit progressiste ou réactionnaire voire d’un apolitisme flirtant avec le cynisme, qu’on soit d’ici ou d’ailleurs, petit ou grand, penser par soi-même*** et en assumer pleinement les conséquences n’est pas et ne sera jamais simple. On vous souhaitera néanmoins un bel été.

* Sections d’Assaut créées en 1920 par Ernst Röhm.

** Système politique dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d’individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée.

*** Sachant qu’on a souvent besoin des autres pour y parvenir…

PS : Enfin, pour clore ce joyeux méli-mélo, on ne résistera pas à évoquer cette pépite, dans Planes 2, qui ravira les oreilles et le palpitant des inconditionnels d’ACDC, puisque, étonnamment, on retrouve dans cette super production estivale destinée aux enfants le fameux titre « Thunderstruck ». Et force est de constater que cette insolite intrusion du vieux rock vintage dans le monde merveilleux et tentaculaire des dessins animés siglés Disney fonctionne plutôt bien.

Divergente – Film américain de Neil Burger – Avec Kate Winslet, Shailene Woodley, Theo James… – Sortie le 9 avril 2014 – 2h19

Finding Vivian Maier – Documentaire américain de Charlie Siskel et John Maloof – Avec Vivian Maier – Sortie le 2 juillet 2014 – Durée : 1h24

Le procès de Viviane Amsalem – Film franco-israélo-allemand de Shlomi et sa sœur Ronit Elkabetz – Avec Ronit Elkabetz, Simon Abkarian… – Sortie le 25 juin 2014 – Durée : 1h55

Under the skin – Film britannique de Jonathan Glazer – Avec Scarlett Johansson – Sortie le 25 juin 2014 – Durée : 1h47

Jimmy’s Hall – Drame franco-irlando-britannique de Ken Loach – Avec Barry Ward, Simone Kirby… – Sortie le 2 juillet 2014 – Durée : 1h49

Planes 2 – Film d’animation américain de Roberts Gannaway – Sortie en France le 23 juillet 2014 – Durée : 1h24

2 comments

  1. eh bien, on dirait que certains n’ont que ça à faire

    • aller au cinéma ou prendre du temps pour en parler ? merci Tania pour ce commentaire qui nous poussera à relire « Le droit à la paresse » ou (re)visionner « Alexandre le bienheureux ».

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