Replay de Ken Grimwood ou de l’importance des bouquinistes dans notre ville

Comme bon nombre de Rennais, je me retrouve souvent à flâner au niveau des stands des bouquinistes, installés depuis quelques temps sur la place Hoche, après avoir quitté la place Sainte-Anne. Parmi eux, il y en a un qui me plait particulièrement. À plusieurs reprises je lui ai acheté des bouquins. À plusieurs autres, j’ai causé avec lui.

Un rire épais lui collait à la gorge, ce jour-là. Nous avions déjà taillé une bavette tous les deux, comme je disais, un jour de gros nuages lourds et de pluie. Il m’avait tenu la grappe une bonne heure, m’instruisait sur son passé et sur un certain Léo Ferré qu’il semblait admirer autant qu’un autre certain Calaferte. Alors que la pluie s’était mise à rincer les livres sur les tréteaux, je lui avais filé un coup de pattes pour couvrir le tout d’une bâche. On se connaissait de vue, quoi ! Comme un commerçant affable, un copain de comptoir, mon bouquiniste me plaisait pour ces petits moments tout simples.

Replay-de-Ken-GrinwoodCe jour-là, donc, il riait. Le temps, faut dire, était plus enthousiasmant. Un joli soleil, une foule calme traînait des guiboles autour des bouquins. Moi, je venais là pour des références. Besoin de bons livres. Et côté références, mon petit doigt me disait qu’il était calé. Il lâcha un client et vint me dire bonjour. Échange et tout le bazar. Je lui fis part de ma requête. Là, il pointa son doigt sur ma poitrine, claqua sa langue, comme une petite écume blanche lui collait à la commissure des lèvres, le problème des bouches sèches, il se mit, avec ce rictus du mec excité, à me raconter son coup de cœur. Replay  de Ken Grimwood. « Je ne l’ai plus, me dit-il. On le trouve difficilement aujourd’hui, et le seul exemplaire que je conservais précieusement, je l’ai prêté, jamais revu. Comme un con. Je l’ai revu passer une fois, sur le stand d’un camarade, envolé dans la journée… ça m’apprendra, tiens ! » conclut-il en riant. Et le voilà parti dans l’histoire, la glotte chevrotante, le timbre tout en nerf, il déballa le récit avec une passion extraordinaire. Je ne voulais plus lire que ce livre. Que celui-ci. J’avais bien vu ses yeux et ses mains lorsqu’il parlait de ces Replay (résurrection, l’idée de pouvoir recommencer sa vie). J’y avais entrevu, dans ses yeux et ses mains, ses propres souvenirs et ses rêves… Un mélange de satisfaction de ses choix passés, et puis l’envie d’essayer tout de même autre chose. Il m’avait expliqué que, pour lui, l’engagement dans un couple c’était la mort, les gosses pire encore… faire des gosses c’est s’infliger ensuite de trimer pour les nourrir, pour leur offrir quelque chose de pas dégueulasse, une vie convenable et trimer pour trimer c’était niet, pas question… il préférait s’en remettre à lui, à lui seul pour s’occuper de lui, de lui seul. Mais peut-être que là, dans ses yeux, y avait une petite, toute petite, envie d’essayer autre chose pour voir…

Je n’avais donc plus du tout envie de lire quoi que ce soit d’autre. Je lui achetai un livre pour ne pas faire le rapiat, et pour avoir quand même un truc à me foutre sous la dent en rentrant. De retour dans mon petit chez-moi, je m’empressai de chercher sur internet ce fameux roman, qu’il m’avait tant vanté. Le sésame d’occasion trouvé, acheté. Reçu. Lu. Adoré.

Le début, c’est vache. Le gars, la quarantaine, crève dès les premières pages. Merde ! Et puis, finalement, il se réveille. 18 piges dans sa piaule d’étudiant. Tout pareil qu’une vingtaine d’années plus tôt. On saisit la surprise, on comprend que le pauvre s’en retrouve tout chamboulé. Il s’y fait assez rapidement… Il revit ses jeunes années… Et puis tout recommencer… son mariage raté, son boulot qui ne l’intéressait pas, sa vie médiocre, ça turbine dans sa tête. Et finalement c’est peut-être pas plus mal de recommencer ? Avec quelques atouts. La connaissance d’un monde que les autres découvrent (l’attentat de Kennedy, les résultats sportifs, les guerres, Internet…) et la conscience de sa réincarnation. Oui mais voilà, sa mort « spéciale » n’était pas due à une crue imprévue du Styx, une erreur commise par les larbins du Ciel, un dysfonctionnement qui ne doit pas se reproduire… même pas… même jour, même heure, rebelote. Même chose. Même réveil. Même piaule d’étudiant. À la fin, c’est plus de la surprise, ça doit devenir lassant. Je n’en dis pas davantage, ça deviendrait du spoil et je me garderais bien de vous faire ça.

Ce roman, paru en 1986, est un chef-d’œuvre, il reçut deux ans plus tard, le Word Fantasy Award du meilleur du roman. Bien construit. Un récit habilement ficelé, bourré d’humour et de poésie, puissant dans ses réflexions et une fin comme on n’en voit peu. Parce qu’écrire une histoire intéressante, avoir une bonne idée c’est une chose mais réussir à boucler tout ça et écrire une fin digne du reste du livre, ça c’est du talent. Et la fin envoie ce qu’il faut, à la hauteur du reste. Dès les premières pages, on ne cesse de s’identifier au pauvre bougre, banal, médiocre, qui clamse à 43 ans pour revivre dans sa peau de jeune puceau. Qu’est-ce qu’on ferait ? C’est pas uniquement le fantasme de revivre ses jeunes années, d’avoir une pré-science que les autres du coup n’ont pas, mais c’est la question des choix qui vient ici nous hanter. Ces putains de choix qui conditionnent le reste de notre vie, ces jours où l’on voit clairement les chemins se dessiner devant notre gueule, celui-ci, celui-là ou encore lui, ce petit chemin un peu de traviole, il me paraît pas mal mais merde, sur quoi mène-t-il ? Quel bon dieu de chemin dois-je prendre ? Et si nous pouvions tous les essayer avant de choisir ?

Le sel de ces pages est contenu dans toutes ces réflexions, ses vies, ses choix, les nôtres, l’identification constante et le courage qu’il semble nous procurer pour vivre nos choix avec force conviction. Arrêtons d’être lâches, même si cela est plus simple toujours.

Et que c’est bien écrit.

Bref, je n’aurais probablement jamais trouvé Replay sans mon cher bouquiniste. Et tant d’autres livres me seraient passés sous le nez.

One comment

  1. Aaah…. Replay… un de mes livres préférés. C’est vrai qu’il n’est curieusement pas hyper connu mais c’est un classique !!!! Continuez d’aller flâner chez votre bouquiniste :)

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