On peut être borgne et regarder dans la bonne direction. On peut être sourd et écouter les bonnes personnes. On peut être muet et arriver à se faire entendre. Et là où il n’y a plus rien, on peut renaître. « Rien ». C’est le titre apposé à ce nouvel EP du groupe bordelais Odezenne. Rien, c’est-à-dire pas de nom de groupe sur l’illustration, juste une « belle paire de fesses » comme confessaient Al et Jaco lors d’une interview donnée aux Inrocks à la sortie de leur « extended play ». Merlin étant toujours à la composition musicale. L’occasion de dire que ce type est un génie. Je ne suis pas vraiment objectif je sais.
« Bitch motherfucker ». Voici les deux premiers mots entendus à l’aube de « Rien ». Les résonances penchent sérieusement vers de l’électro pop planante (désolé pour les étiquettes). Al et Jaco se présentent avec des cheveux et une barbe nonchalante (voir clip en fin d’article). Quelque chose a changé. Et on le comprend dès le premier titre. Les images pleuvent sous la mélancolie des beaux jours. Nous restons en suspension. Al et Jaco rejoignent la mélodie en accordant leurs cordes vocales. Ils rappent, ils chantent, ils fannent. Les quatre titres qui en découlent renforcent ce sentiment nocif. Odezenne a vieilli, Odezenne est toujours beau et regarde ailleurs. « Cheese smile souvenir ».
« C’est avec les ambitions qu’on attrape le financier. Avec les munitions que dérape le policier. C’est une des conditions de devoir nous laisser vivre. La foule en érection est déjà bien ivre. En réanimation dans des lits noirs et blancs. Ne tire aucune leçon de nos arracheurs de dents. Ils crachent comme des cons sur le pavé des enfants. Les cigarettes s’allument à l’annonce de leurs treize ans […] » Extrait de « Novembre »
Le plus gros risque et parti pris est selon moi « Je veux te baiser ». À l’annonce du titre, j’ai eu peur d’un single à l’énième provocation sexiste et du déchaînement des flammes. Le clip m’a donné tort. L’espoir est là et nous sommes loin du conformisme (ou presque) des soirées abusives en tout genre. Il reste encore un peu d’amour. Il n’est pas omniprésent, et heureusement mais il sonne juste.
« Novembre » explose. C’est pour moi comme l’autre grosse bombe de « Rien ». L’automne semble retomber lourdement sur le sol à grosses feuilles. On n’oubliera pas de signaler l’excellent « Chimpanzé », un voyage abstrait au milieu de nulle part sur fond de drogue douce, une tentative vaine afin de trouver enfin sa place au milieu des vautours. Pour finir, on escalade progressivement le Mont Sinaï pour tenter de rejoindre Dieu sans jamais le croiser. Une bonne fois pour toutes. Une dernière fois sans doute, je peux le dire en tant qu’ex-croyant : « Dieu était grand ».
« Rien » – Extrait de l’EP d’Odezenne « Rien », sorti le 25 Mai 2014