Benjamin Flao signe, avec Kililana Song, sa première bd en solo. Il plante son décor sur l’archipel de Lamu au Kenya. On y suit les aventures du petit Naïm, gamin turbulent, les yeux remplis d’une soif de vivre, au tempérament fougueux et un tantinet indiscipliné…
Des planches d’une beauté incroyable. Des paysages sous-marins oniriques à coup d’aquarelles où l’on sent derrière la main experte, le goût du lâcher-prise. On imagine les yeux sans pupille, Flao en transe, frotter frénétiquement sa planche. Des personnages puissants, des caricatures d’expats, d’investisseurs pourris, de marins alcooliques, de gamins des rues, des gueules tracées avec toute l’émotion de la réalité. Et là, au milieu du récit, un conte africain, tout en trait d’aquarelle épuré, de longues pattes peintes dans la simplicité la plus douce et la plus émouvante, des corps élancés comme des ombres sous un ciel sans nuage d’une fin de soirée d’été.
Une échappée éclatante
Un maniement subtil des couleurs. Une échappée éclatante au bord des mangroves, sur les mers violentes et belles. Notre gamin, sorte de Tom Sawyer africain, se retrouve embarqué malgré lui dans la mission essentielle d’un vieux briscard solitaire, il côtoie ici un jeune dealer, un drogué, un groupe de promoteurs immobiliers prêts à saccager l’archipel pour leurs intérêts propres. Et tous se rejoignent… dans une aventure aussi belle, cruelle et triste que la réalité, un récit vrai et tout aussi poétique et onirique.
On y est parce que les personnages que l’on rencontre, aussi caricaturés qu’ils puissent être, sont réalistes. Quel que soit le pays où l’on pose ses bagages, quelle que soit la région du monde un tant soit peu exotique où l’on vadrouille, on croise des gars comme ça, on croise des illuminés qui pensent avoir trouvé leur paradis et qui s’en mettent plein le nez de poudre blanche et plein la gorge de Marie-Jeanne, on croise des perchés qui excellent dans le discours de l’expat convaincu, on croise encore des bedonnants qui sirotent des champagnes et cocktails à la goyave en baratinant sur des projets hôteliers, mais aussi des filles faciles, qui se collent aux touristes grassouillets aux poches pleines ou presque, leur tenant la main, allant jusqu’aux chambres pour espérer le pactole ou au moins manger et boire comme il faut le temps qu’il faudra… et ces gamins qui gagnent leur croûte en jouant les guides pour d’aimables routards, manuel à la main, appareil photo en bandoulière, satisfaits de pouvoir découvrir le véritable visage du pays qu’il visite et de pouvoir participer un peu mieux que les autres au tourisme éco-responsable en donnant des billets aux gentils mioches. C’est le visage du monde, le visage de l’Occident qui s’enfuit vers les terres de bananiers, mangroves et autres oasis modernes pour un peuple fatigué par un labeur quotidien. C’est le monde qui voyage.
Et pourtant, hé bien, cette bd donne quand même un peu d’espoir. On la termine avec un petit sourire aux lèvres, je ne vous dis pas pourquoi, et surtout, la sensation d’avoir goûté à la beauté. Voyez ? Un truc qui chatouille tellement ça rend content de vivre. Malgré les personnages dégoutants, les scènes qui réveillent en nous le sentiment de révolte, on est content d’avoir lu un livre aussi bon.
Benjamin Flao. Kililana Song Tome 1. Un récit écrit et dessiné par Benjamin Flao