La crème de la crème : une comédie française de Kim Chapiron, avec Alice Isaaz, Jean-Baptiste Lafarge et Thomas Blumenthal. Visite guidée des coulisses d’une prestigieuse école de commerce.
Qui n’a jamais rêvé d’en faire partie, de l’élite, d’appartenir à « la crème de la crème » ? Pour ce faire, pour s’y propulser, il y a bien sûr le travail, la persévérance, la naissance au sein de bonnes familles, le talent, la chance, le destin providentiel… et les hautes écoles de commerce. Sur ce postulat qui accrédite la thèse qu’il y aurait une France d’en bas (sordide et marécageuse) et un haut du panier (glorieux et tentant), Chapiron élabore un film à l’américaine, dans la tradition des blockbusters pourris qui ont pour cadre un campus. Là, cependant, s’arrête la comparaison.
Certes, ça démarre sur une scène de masturbation devant un écran 3D…
Dans La crème de la crème, il se passe quelque chose qui dépasse le stade de la farce potache garnie de pom-pom girls et de joueurs de base-ball en quête du premier flirt. Certes, ça démarre sur une scène de masturbation devant un écran 3D avec Jaffar (Karim Ait M’Hand), fils d’un roi du pétrole tunisien, qui se détend comme il peut avant de se rendre avec son comparse intello Dan (Thomas Blumenthal) à une soirée d’intégration des nouveaux élèves, où ils feront la connaissance de la jolie Kelliah (Alice Isaaz) et de l’arrogant Louis (Jean-Baptiste Lafarge). D’emblée Chapiron pose le décor et ça m’aura rappelé Shame, de Steve McQueen, avec le beau Michael Fassbender, où, dès le début, celui-ci, debout, nu, de dos, urinait longuement, après une partie de jambe en l’air. Dans la salle, une mamie, probablement choquée, se leva et se dirigea vers la sortie. Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait. Certes, l’intrigue est relativement convenue : Dan, Kelliah et Louis créent un réseau de prostitution au sein de leur école pour alimenter en sugar babes les soirées démoniaques organisées par le bureau des étudiants.
Exemple de clip extrait de la (trop ?) vaste discographie de ce Michel Sardou cité ci-dessous.
On doit à l’interprète de l’inénarrable « Le France » une scène d’anthologie.
Certes, grâce aussi à une bande originale conçue sur-mesure, on ne s’ennuie pas une seconde : Michel Sardou, Michel Fugain, Carla Bruni, Ibrahim Maalouf, Sébastien Tellier, etc., assurent un tempo bien senti. On doit même ici à l’interprète de l’inénarrable « Le France » et de tant d’autres perles, une scène d’anthologie qui, je l’espère, fera date dans l’histoire du cinéma d’anthropologie, où l’on voit une meute d’étudiants débraillés en transe sur l’un de ses plus beaux succès qui vantait, en 1981, le charme des plans d’eau écossais. Cette scène à elle seule vaut le déplacement. Elle est la quintessence, enfin filmée, de la fracture sociale dont souffre le pays depuis tant d’années (depuis la campagne présidentielle victorieuse de Jacques Chirac en 1995 pour être exact). La crème de la crème explore ainsi l’abîme qui nous sépare, le fossé culturel qui encore aujourd’hui se creuse. Les winners y sont décrits dans leurs hautes écoles, pépinières cosy de super-cadres et autres dirigeants de demain à l’entregent ultra-cossu. Y sont majoritairement représentées les classes aisées. Le succès dans les affaires est une histoire de dynasties. La réussite se perpétue d’une génération à l’autre. Kelliah représente quant à elle le petit peuple des cités qui tente d’emprunter l’ascenseur social. On retrouve là un peu le fonds de commerce de Tout ce qui brille de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, où l’on suivait les péripéties d’une jeunette (Leïla Bekhti) prête à toutes les impostures, à tous les reniements, pour accéder aux paillettes, aux fontaines de champagne et aux spaghettis au citron. La crème de la crème est ainsi une belle démonstration de la reproduction des prédéterminismes de castes et des combats à mener pour contrecarrer le destin lié à la naissance et aux inégalités de celle-ci. Car qu’on soit issu des beaux quartiers versaillais ou d’un triste pavillon de périphérie est indiscutablement capital quant à la suite des évènements. C’est bien sûr une évidence qui, heureusement, est compensée par maintes exceptions. Mais le fait est. Quoi qu’il en soit, si Kim Chapiron enfonce une porte ouverte, il s’y prend avec une belle énergie et des brins d’humour suffisamment nombreux et caustiques transforment cette carrément improbable production en une (plutôt) intelligente réalisation des forces à l’œuvre au sein de notre société cosmopolite. En tout cas, si, à première vue, cette comédie à la sauce américaine frôle la daube, elle s’appuie toutefois sur une french touch qui ne manque pas de saveur.