Un recueil inédit vient de paraître aux éditions Finitude. Pour la première fois, la correspondance de Neal Cassady est traduite en français. L’édition originale, Collected letters, est sortie en 2004. Il a donc fallu 10 ans pour que la traduction française soit réalisée. La sortie du film Sur la route n’y est probablement pas pour rien.
Vous vous souvenez certainement du bouillant Dean Moriarty dans le roman de Jack Kerouac Sur la route. Ce grand mec, fulgurant, imprévisible et charmeur, c’est Neal Cassady. L’icône de la Beat Generation. Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs ont tous trois vu en lui, l’âme de ce mouvement. « Il est l’essence même du Mouvement, compulsif, prêt à sacrifier famille, amis et même satanée bagnole au besoin irrépressible d’aller d’un endroit à un autre », affirme l’auteur du Festin nu et l’inventeur du cut-up. Plus encore qu’une icône, il est aussi pour Kerouac et Ginsberg, en particulier, un formidable écrivain au style spontané inédit. Ces lettres dévoilent une plume incroyable. Un flot ininterrompu de pensées, un rythme qui semble suivre le souffle effréné de son auteur et les pauses qu’il s’accorde pour siffler une gorgée de bière ou de whisky. De la sincérité. Il ne tourne pas autour du pot. Quand il reproche il reproche. Quand il demande quelque chose, il y va de la manière la plus spontanée, rapide. Les mots sont un moyen de dire. Il n’y met pas les guirlandes inutiles… Sa voix est percutante pour cela. On entend presque son timbre, on sent presque son haleine ici, on voit ses doigts aussi furieux que ses yeux et sa soif de vivre.
Un souffle éperdu dans une course pour la vie
Les correspondances de ce recueil ont chacune leurs particularités. Il y a les lettres écrites depuis la maison de correction du Colorado, à Justin Brierly, le mentor du jeune receleur de Denver. Puis celles écrites à Ginsberg, l’amant d’un temps, l’ami. Et celles écrites à Kerouac. Le frère. Il n’hésite pas dans l’une de ses lettres à lui intimer d’être sincère « le processus d’écriture nous contraint à une certaine forme et même si on est sincère, on se met à dire les choses plutôt que de les ressentir, et la tentative honnête d’exprimer ce qu’on ressent est si laborieuse qu’on finit par torcher paresseusement une lettre remplie d’informations, ou une lettre toute faite ou faussement stimulante etc. Tout ça c’est bon pour les autres mais pas pour nous ». Il dit tout ici. Tout ce qui compose son style. Très peu de ponctuation, pas de blabla, un truc très beau collant au fil de ses pensées, un souffle éperdu dans une course pour la vie.
Ce recueil est beau par la forme. Mais aussi par le fond. C’est qu’il recherche quelque chose ce pauvre Neal, homme à femmes, à voitures, à drogues, il recherche quelque chose au-delà de cette instabilité frénétique. Il cherche à vivre pour combler le vide, pour donner du sens, pour se comprendre pleinement pour atteindre « une sainte connaissance » de lui-même. On suit le courant tumultueux de sa pensée, qui évolue, tout au long des 320 pages de ce premier tome. Et comme on suivrait le nôtre, de torrent, on s’y accroche, on halète quand il halète, on vit sa propre introspection, on claque des jambes lorsque le sacré Neal semble avoir trop la bougeotte pour terminer sa lettre et qu’il attend une femme, on hoquète quand sa main tremblante termine un verre en même temps qu’une phrase, on l’écoute, on le trouve beau, rude mais beau, coriace, joyeux, on le lit sans plus s’arrêter. C’est ça Neal Cassady. Les trois compères de la Beat Generation n’avaient pas tort, il est un grand écrivain. Et nous attendons avec impatience le second tome de ses lettres (1951-1967).
Un truc très beau qui contient tout – Lettres 1944-1950 de Neal Cassady – Traduit et présenté par Fanny Wallendorf – 336 pages – Éditions Finitude