Lieu incontournable des musiques actuelles à Rennes, le Jardin Moderne est une association aux vocations et aux activités multiples. En ces temps de « crise culturelle » et d’interrogations locales, l’Imprimerie est allée à la rencontre du directeur des lieux, Guillaume Léchevin.
■ Bonjour Guillaume; peux-tu nous retracer l’historique du Jardin ?
L’association est née en 1997 et s’appelait Le Collectif car elle fédérait plusieurs associations rennaises, de musique, aux projets différents (organisation de concerts, label) et avec des niveaux de structuration variés, l’Antipode, l’ATM, mais aussi des associations plus jeunes. À l’occasion des assises de la culture organisées par la ville à l’époque, il y a eu des revendications faites par Le Collectif, notamment sur des moyens pour travailler, mais aussi de lieux de diffusion. Une des réponses a été de confier au Collectif cet endroit, qui a été baptisé le Jardin Moderne. Ça a commencé avec des locaux de répétition, un centre de ressource, puis assez rapidement il y a eu le café culturel, avec un restaurant, puis plus tard la salle de concert dans le même bâtiment. Par ailleurs, l’association est aussi devenue un organisme de formation.
■ Justement l’ensemble des services proposés quels sont-ils ?
Je préfère dire activités plutôt que services, qui laisse entendre qu’on est plus dans la consommation alors qu’on lutte assez vigoureusement contre cet esprit là ! Aujourd’hui il y a un restaurant ouvert le midi du mardi au vendredi, les 6 locaux de répétition, qui sont le cœur de notre activité puisqu’environ 80 % adhérent à l’association pour répéter. Il y a un studio d’enregistrement, qui rouvrira au deuxième semestre 2014 pour changement de matériel. C’est également un organisme de formation professionnelle pour les musiciens et les acteurs du spectacle vivant en général (formations administratives mais aussi techniques et technico-artistiques). Nous sommes aussi un centre de ressource qui accueille des musiciens, des porteurs de projets, avec un fond documentaire, un annuaire sur notre site de plus de 2000 contacts. On accueille également d’autres associations dans nos murs, il y en a 7 ici, et 7 autres dans un bâtiment que nous loue la ville dans le quartier de Villejean, qui ne sont pas uniquement dans les musiques actuelles : du cirque, des troupes d’impro de théâtre, des arts visuels.. Enfin, il y a la salle de concert, dans laquelle la majorité des spectacles sont organisés par des structures que nous accompagnons dans leurs projets.
Le Jardin en chiffres
Création : 1997
En 2014, 13 salariés
Surface : 1 200 m2.
6 locaux de répétition
Capacité d’accueil salle de concert : 200 places
■ Quels seraient les temps fort qui font l’identité du Jardin Moderne ?
On aimerait bien que le Forum des Adhérents devienne un temps fort, mais ce n’est pas encore le cas. C’est un rendez-vous qui concerne les adhérents et les partenaires, qu’on aimerait bien faire évoluer en vrai temps de débat et de démocratie locale. On essaie de faire en sorte que les associations et les adhérents soient investis, on a pas envie en tant que salariés du Jardin de kidnapper le projet et d’amener uniquement des bilans à signer une fois par an. Ça se travaille et c’est assez compliqué. Le prochain aura lieu samedi 1er mars.
Après il y a des temps plus facilement conviviaux comme le Jardin numérique, du 10 au 13 avril cette année, qui concerne les pratiques numériques alternatives. Ce sera plus tourné son et musique que les années précédentes. Il y a des concerts, des installations, mais c’est surtout un temps d’initiation, de découverte, où on fait en sorte que les personnes qui viennent soit des participants plus que des spectateurs. C’est aussi la nature du projet du Jardin, puisqu’on s’adresse plus à des artistes, des techniciens, des artisans, même si les spectateurs sont aussi bienvenus.
Il y a des événements qui sont devenus des temps forts au fil du temps, comme le Marché de Noël, qui présente des objets faits par des artistes et artisans locaux. Il y a aussi des événements qui ne sont pas organisés par nous mais qui commencent à être des rendez-vous comme le Marché Noir sur la micro-édition et la sérigraphie, ou la Fête de l’Armada, depuis deux ans. Le lieu se prête pas mal à des formes particulières, on est pas une grosse salle de concert avec 500 ou 1000 places, mais on est quand même un lieu relativement important avec plusieurs espaces, qui permet de changer d’atmosphère et de faire des propositions variées.
■ Avec toutes ces activités, le travail de directeur consiste en quoi ? Gérer le tout ?
C’est un travail de direction qui ressemble à tout travail de direction ! Le truc important au Jardin, c’est d’animer le lien entre une équipe salariée et les adhérents représentés par un conseil d’administration. Il faut que chacun prenne conscience que le projet a du sens si les gens s’expriment, débattent, et essaient de développer un projet qui corresponde toujours à leurs besoins de musiciens, d’artistes; et que ça aille aussi au-delà des besoins, que ça tire tout le monde vers le haut de manière collective. Je pense que c’est un peu le cœur du boulot, en tous cas c’est comme ça que je le vois.
■ En 2010 il y a eu un passage un peu difficile, avec un déficit financier ; 2014 s’annonce comment, avec ces « crises » c’est compliqué de continuer à porter l’association ?
C’est toujours compliqué d’expliquer un déficit; il y a des raisons internes au Jardin et aussi le contexte économique général, auquel s’ajoute un manque d’intérêt des politiques pour la culture, et en particulier pour le champ socio-culturel, parce tout le monde ne manque pas d’argentdans de la culture. Après il y a aussi le contexte local, de la région Bretagne, du département, de la métropole rennaise. Nous en tant qu’association on a démontré que c’était pas un accident de gestion, mais un problème de financement par rapport aux ambitions qu’on s’est fixé dans le projet. On a réduit nos dépenses en 2011, et on a demandé aux partenaires publics de prendre aussi leur part de responsabilité, et qu’ils envisagent un meilleur financement au regard de tout ce qu’on faisait, et de tout ce qu’ils reconnaissaient comme étant importants par rapport aux politiques qu’ils mettent en œuvre. Dans le projet culturel de Rennes métropole, il est question de développement des pratiques amateurs, de la pratique professionnelle, de formation, d’accompagnement des acteurs, ces problématiques rencontrent les nôtres et cela légitime les demandes que l’on adresse. 2014 s’annonce un peu mieux car la ville a fait évoluer ses financements, on reste confiant, on a aussi une bonne relation de travail avec la région, et le département. On est aussi financé par l’état par le biais de la Drac depuis 2013, ce qui est une nouveauté pour nous; on a eu 5000€ l’année dernière, et cette année on est passé à 12500€, ce qui pour nous est très important, même si ça reste moindre sur notre budget global.
« Si les gens se sentent bien sur un territoire ça se sait (..) »
■ À Rennes, il y a un parc de salles de musiques actuelles important, beaucoup d’associations, mais il y a beaucoup de gens qui s’interrogent sur le rayonnement que peuvent avoir les musiques à Rennes, on fait beaucoup de comparaisons avec Nantes ; à ton avis quels sont les écueils qui peuvent exister pour les musiques actuelles locales ?
C’est vrai que dans les différentes interviews sur lesquelles on est sollicités, la question du rayonnement revient souvent, tout comme la comparaison avec Nantes. Même si ça n’est jamais repris dans les articles, je réponds en général que le rayonnement n’est pas une problématique qui m’intéresse. C’est pas mon affaire, c’est à dire que s’il y a un bien être dans une ville ou sur un territoire, et si les habitants qui ont envie de faire de la musique trouvent les lieux et les moyens pour pratiquer dans de bonnes conditions, et que l’on peut jouer et assister à des concerts que ce soit dans les cafés, aux Trans ou à l’Antipode, alors le territoire rayonnera. Si les gens se sentent bien sur un territoire ça se sait, mais si le rayonnement se résume à du marketing territorial en tant que directeur du Jardin Moderne, et en tant qu’habitant de Rennes, ça ne m’intéresse pas. Par exemple, je ne pense pas qu’il y ait des débats très intéressants au forum Libération, pourtant ça coûte cher. Certes, on en parle sur France Inter, il y a des intellectuels stars qui viennent quelques jours, il y a des petites retombées, c’est du marketing territorial, ça rayonne; après quel intérêt ça a pour le territoire, moi je sais pas. Néanmoins, Je trouve qu’il y a quand même une assez grande écoute de la ville et de Rennes métropole sur les projets collectifs, et finalement c’est une ville où il y a des espaces mis à disposition; insuffisamment, mais c’est toujours mieux que dans pas mal d’autres villes. Il y a beaucoup d’artistes ici en musique à Rennes, beaucoup de groupes qui sont assez matures dans leur démarche artistique, donc c’est étonnant qu’il y ait aussi peu de lieux de répétition. Donc oui il y a un manque par rapport à la richesse du territoire, la question étant « comment remédier à cette carence rapidement »ce n’est pas qu’une question de construction de lieux qui est une préoccupation récurrente de la presse que je ne comprends pas. Les lieux ne suffisent pas à faire politique culturelle, il faut aussi porter des réflexions : comment les espaces se dirigent, comment ils s’animent, est ce que les gens participent à leur gestion. Ce sont toutes ces questions qui se discutent, et là on ne peut pas être dans un court terme.
■ Pour terminer cet entretien, quel serait ton dernier coup de cœur artistique ?
Il y a des pros pour répondre à ça, un programmateur va te répondre du tac au tac ! Le dernier album que j’écoute vraiment n’est pas récent, mais c’est le dernier disque de Shannon Wright. Le dernier bouquin, j’ai rien lu de mieux depuis et c’est carrément sorti il y a une cinquantaine d’années, c’est Le Tambour de Günter Grass.