Dans le cadre de Mettre en scène, le collectif berlinois She She Pop, habituellement adepte de la performance, a présenté Testament, une création reprenant le thème du Roi Lear de Shakespeare.
Bref récapitulatif : se sentant trop vieux pour régner, Lear souhaite diviser son royaume en trois parts égales, offertes à ses trois filles en échange d’une déclaration de l’amour qu’elles lui portent. Les deux aînés, happées par le gain s’y prêtent volontiers, contrairement à la benjamine qui, estimant que l’amour ne s’achète pas, refuse de participer à ces déclarations vénales et finit bannie par son père.
« Je te pardonne d’avoir cru que, lancer les dès une fois aux petits chevaux pendant une page de pub télévisuelle signifiait jouer avec moi. »
Tirant de cela le thème du testament, les quatre acteurs-performers berlinois le réactualisent, invitant pour ce faire leurs propres pères sur scène afin de leur reprocher ou leur pardonner des actions ou faits. Ces derniers n’étant pas là dans un rôle d’interprétation amènent une distanciation par rapport à la scène, et les textes semblent alors être plus des témoignages que des écrits théâtraux (ils ne citent du texte de Shakespeare que les débuts d’actes, ôtant ouvertement ce qui les gêne).
« Je te pardonne d’avoir cru que faire des croques-monsieur signifiait faire la cuisine »
Se dégage une forte et drôle émotion de la sincérité des pères, chacun restant dans son domaine pour analyser la thématique de Lear : l’un, mathématicien, effectue une équation suivant les données de base des personnages, concluant que quoiqu’il arrive, Lear était perdant dans son testament et dans l’amour qu’il attendait de ses filles ; un autre, voulant imiter Lear et s’installer chez sa fille pour qu’elle s’occupe de lui, reproduit un schéma de la maison de sa fille et essaie d’y insérer tous ses meubles et d’y modifier quelques règles, aboutissant à une maison totalement blindée par des bibliothèques.
Cette relecture de Lear amène tranche nettement par rapport à la pièce initiale (aucun personnage n’est incarné, jeu distancié, texte directement lu sur scène), mais c’est une petite atmosphère familiale, à la fois lourde et chaleureuse qui s’en dégage, nous donnant l’impression de nous retrouver à un repas de famille où chacun reproche tout à l’autre, reproches tolérés face à l’amour qu’il est malgré tout possible de se porter. Une plongée dans la réflexion sur les rapports familiaux pour cette pièce ayant déjà remporté en Allemagne le prix Friedrich-Luft et le prix de l’institut Goethe en 2011.
Testament – d’après Le Roi Lear de William Shakespeare – concept She She Pop & leurs pères – créés et interprétés par Sebastian et Joachim Bark, Berit Stumpf, Peter Halmburger, Lisa Lucassen, Mieke et Manfred Matzke assistant Kaja Jakstat décor Sandra Fox création lumières Sven Nichterlein musique Christopher Uhe costumes Lea Soevsoe
Une pièce jouée du 14 au 16 novembre 2013 à l’Aire libre dans le cadre de Mettre en scène