Pour leur nouvel album Mumbo Jumbo et la tournée qui s’ensuit, les Doigts de l’homme ont fait une halte à la Mjc Bréquigny le 14 mars. L’occasion d’aller en savoir un peu plus sur ces joyeux trublions du jazz manouche qui aiment mélanger les genres. Rencontre avec Olivier Kikteff, guitariste du groupe, pour une interview de bonne humeur.
■ Bonjour ! Pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore, peux-tu nous présenter le groupe et son parcours jusqu’à aujourd’hui ?
- Alors c’est simple il suffit d’aller sur le site web ! Tout est en ligne ! (note complémentaire : Les Doigts de l’Homme se sont formés en 2002. Ils sont aujourd’hui cinq, Olivier Kikteff à la guitare, Yannick Alcocer à la guitare et au charango, Benoit Convert à la guitare, Tanguy Blum à la contrebasse et plus récemment Antoine Girard à l’accordéon. Ils ont sortis 6 disques, dont le dernier en date Mumbo Jumbo, ce qui sera détaillé à la question suivante !)
■ Votre nouvel album Mumbo Jumbo intègre désormais un accordéon à votre quatuor ? C’était une envie de longue date ? Comment s’est faite cette rencontre ?
- Ce qui s’est passé c’est que juste avant on avait fait 1910, un album hommage à Django Reinhardt, qui a bien fonctionné. En revenant sur un disque de compositions, je voulais pas qu’on puisse comparer. Pour forcer un peu le trait, je voulais qu’il y ait un changement dans la couleur générale du groupe, un instrument qui transfigure le son. L’accordéon a l’avantage de jouer des valeurs longues, des accords, en plus d’apporter une sonorité autre. Ça nous permet de temps en temps de s’arrêter de jouer, de laisser vivre l’espace sonore autrement. Plus ça va aussi plus je m’intéresse aux musiques de l’est, et Antoine Girard vient vraiment de cette esthétique.
Da Vibe – from the next album by Les Doigts de l’Homme
■ Quelles sont vos influences principales, outre le tzigane et le jazz ?
- Franchement, c’est impossible avec tout ce que j’écoute de différent ! Bon déjà il y en a qui sont difficilement intégrables au jazz manouche. Après elles se dispersent peut être moins aujourd’hui sur les sonorités; j’ai essayé des tas de trucs, cajon, oud, et on continue d’aller piocher dans les musiques sud-américaines, les musiques de l’est. Après j’écoute du hip-hop, du rock, du Higelin…
■ Le troisième album vient de sortir; comment fait-on pour s’en sortir dans « la crise du disque » ?
Bon la crise du disque ça vient principalement du téléchargement, mais aussi que les gens ont pas de thunes. Moi c’est surtout l’idée que la musique soit gratuite qui m’embête, mais j’ai pas attendu de vendre des disques pour vivre. Concrètement je pense que ce sont surtout les grosses majors qui souffrent de la crise du disque ! Après grâce au téléchargement notre musique peut faire trois fois le tour du monde, mais je n’incite pas à ça ! On s’arrache à faire de la musique, des enregistrements en studio, parfois au détriment de ta vie de famille, donc t’as pas envie qu’on te bouffe gratuitement tout ton travail. Des disques on en vend principalement en concert, mais je sais pas trop combien on en vend, je m’amuse pas trop à faire des calculs. Tu vois que ta musique se diffuse quand tu constates que les gens te connaissent, que les programmateurs te prennent. Ça, ça m’intéresse. En tous cas, même si la question est complexe, je m’insurge un peu contre le discours qui veut que la musique soit gratuite, elle l’est pas plus que la baguette de pain chez le boulanger ! C’est un travail énorme, et il faut le faire un bon moment pour qu’on arrête de te demander ce que tu fais comme travail à côté.
« Si tu savais le nombre de matins où je me suis levé en voulant brûler mon passeport.. »
■ Avec des titres comme « Identité Nationale » ou « Rage against the roms » on sent votre sensibilité aux problèmes de discrimination. Comment pensez-vous que l’on puisse faire passer un message avec une musique instrumentale ?
- Excellente question… Pour Identité nationale, je joue avec un oud qui est un instrument oriental, donc moi petit blanc bec de pays je me retrouve à jouer de cet instrument, parce que justement je pense que l’identité nationale de ce pays c’est la résultante de tout ce mélange, qu’on a la chance d’avoir, et qui n’est d’ailleurs pas assez exploité, on ne fait que créer des clivages et des communautarismes. Ces conneries d’histoire de ministère d’identité nationale, ça pourrait être une bonne idée si c’était une gestion des cultures, mais il se trouve que c’est juste avoir un œil sur les questions d’immigration.
■ Stéphane Hessel décédé récemment s’indignait du sort fait aux sans-papiers, aux roms; son message te touche donc ?
- Si tu savais le nombre de matins où je me suis levé en voulant brûler mon passeport.. le problème c’est que je fais un métier où je passe pas mal de frontières et je peux pas m’amuser à faire ce genre de trucs. Je suis allé habiter au Burkina Faso, j’ai travaillé là bas et payé dans les proportions du pays, donc j’avais absolument pas les moyens de renouveler mon visa tous les 3 mois. Sur un an j’ai du avoir un visa de trois mois, et personne m’a jamais emmerdé avec ça. Nous on fait partie d’un pays où les gens circulent à peu près comme ils ont envie, bouger partout ne nous pose aucun problème, mais on a du mal à comprendre que d’autres puissent le faire. Et personnellement à l’heure actuelle, je trouve que ça n’a plus de sens raisonner en terme de pays avec les échanges mondiaux culturels et commerciaux. La Françafrique c’est un fait, on tire des profits de ce système là, mais à l’inverse nous on hésite pas à refoutre les mecs dans le train ! Tout ça me rend assez malade.
■ Dans une récente interview à Mondomix, vous déclariez aimer les rencontres.. avec la tournée qui s’annonce vous devriez être servis ! Avez-vous un kit de survie pour assurer autant de dates ?
- Oui là on a beaucoup de dates. Ce serait malvenu de notre part de se plaindre, je connais un sacré paquet d’intermittents qui sont sur le carreau, je me vois mal râler parce qu’on a plein de dates ! Mais après oui il y a le pan vie de famille qui en prend un coup, mais on se débrouille avec ça, comme plein de gens. J’aime bien être chez moi mais j’ai besoin aussi de mouvement, je m’y suis habitué.
■ Sur Les doigts dans la prise vous jouiez « On n’ira pas à Samois » sur une guitare électrique. Vous aimez la contradiction ? Plus sérieusement, vous y aviez joué en 2010, vous y retournez, c’est un plaisir de participer à cet évènement ?
- Évidemment. J’avais fait ce morceau parce que visiblement j’avais cru comprendre qu’on allait pas à Samois parce qu’on métissait trop. Ce que ça voulait dire c’était plutôt « en faisant un morceau pareil on est sûrs de pas y aller ! » plutôt que « on ne veut pas y aller ». Maintenant on s’entend bien avec le programmateur, et ça se passe bien, même si ça a pris un peu de temps.
■ Si vous aviez une scène rêvée ce serait laquelle ?
- J’en avais une jusqu’à ce que je sache qu’on y allait cette année (nb : Jazz à Vienne). On a participé à un concert à l’Olympia, quand j’avais su ça j’étais comme un fou, et puis finalement ça n’a pas été une soirée particulièrement extraordinaire. Bon. Si tu veux un truc marrant, ma salle rêvée ce serait la Mjc de Lamballe (regarde j’ai même l’autocollant !). J’ai grandi par là bas et j’ai fait mes premières armes là bas, maintenant ils ont fait une belle salle, j’ai insisté pour y jouer mais apparemment ça n’est pas possible à cause de la petite jauge.
■ Dans vos dernières représentations, vous plaisantiez avec brio sur l’art contemporain ; vous avez un problème d’entente avec ce milieu ?
- Oui c’est vrai qu’on a singé des soirées de musique improvisée, mais pas la musique contemporaine, je rectifie la question ! J’ai pas trop accès à ça, ça me parle pas trop, ça me fait rire un peu mais je suis un vrai profane là-dessus. Tu vois l’histoire des habits neufs de l’empereur avec le petit gamin qui est le seul à oser dire que le roi est tout nu ? Ben là il y a un peu de ça, il y a un côté snob à dire « oh bravo » alors que je suis persuadé que 80% des gens n’y comprennent rien.
■ Petit portrait chinois. Si vous étiez un personnage historique ? Ghandi. Un chanteur ? Higelin, j’aime bien ses anciens albums où il inventait des histoires pas possibles.
■ Votre dernier coup de cœur musical ?
Tout récemment il y a un disque de jazz manouche d’Adrien Moignard avec Gonzalo Bergara, ils ont fait un disque à tout petit tirage qui est vraiment incroyable. Pourtant, j’ai plus tellement de coups de cœur en manouche depuis pas mal de temps et j’en écoute même pas des masses..
Merci aux Doigts de l’homme et à la Mjc Bréquigny pour leur accueil.
Article réalisé avec la complicité de Pierre L.