Le slam, très en vogue depuis quelques temps avec des artistes comme Grand Corps Malade ou Abd Al Malik, était une appellation qui ne convenait pas aux membres d’Enterré sous X. Ils ont préféré surnommer leur genre, car, hélas, il faut toujours une étiquette de style, « spoken’roll » (sûrement une contraction de « spoken word » et « rock & roll »).
Mais Enterré sous X c’est tout d’abord un collectif toulousain, quatre mains qui écrivent et six autres derrière les instruments : guitare, batterie, contrebasse. Quelle différence me direz-vous que ce spoken’roll, car comme chez leurs confrères, leurs textes sont interprétés sur un accompagnement musical. La démarche de ce groupe est en effet bien loin des sentiers battus, et ils n’interprètent pas leurs poésie sur une musique, mais avec. Les Enterré sous X ne sont pas là pour nous raconter des histoires revues et corrigées, ni pour embellir notre quotidien, mais pour exploiter la langue française dans toute sa noirceur. Balancer des rimes qui claquent comme un drapeau pirate au vent; « X marks the spot », titre de ce premier opus, se référant à la croix indiquant l’emplacement du butin sur les cartes aux trésors, un truc à la Robert Louis Stevenson, il est normal de considérer les membres du groupe comme des flibustiers des mots. A bord de leur vaisseau, ils explorent la grande mer du slam, à l’abordage sur le dictionnaire et hissant les voiles du jazz ou du rock, ils naviguent avec force vers une destination inconnue. Espérant sans doute creuser au plus profond de l’âme, débusquer une fortune personnelle et la richesse d’un texte. Car l’écriture des Enterré sous X est pleine, ronde, vibrante, d’une qualité rare, et mérite plus qu’un simple moment d’attention.
Pour commencer le périple en haute mer, il faut débuter par l’ »Immersion », quarante secondes, un grognement, des rires, un café, une introduction musicale. Une rencontre. Un homme croise une femme. « Psst t’as pas du slam ? ». Bien sûr qu’il a un gramme de slam, des phrases pour colmater les brèches des paumés, « une paire de rimes bien ajustées », il a même une guitare qui joue le suspense, et une batterie qui ne lâchera plus le cours des évènements. Ici, pas de « faux-semblant », si tout va mal on peut hurler « merde », vomir sa rage et démolir les murs à coups de mots, car « Tout doit disparaître ». Alors « Le verbe » se débat avec les notes de contrebasse, le phrasé est là, porté par des lèvres si vivantes qu’on sentirait presque le souffle de chaque slameur dans son cou. Le souffle, si bien utilisé sur « L’empreinte » que c’en est vertigineux; Lili June et sa voix envoûtante nous raconte l’histoire d’une renaissance par l’écriture, d’une rupture violente. Une claque. D’ailleurs Enterré sous X ça en fout une bonne de claque, tellement forte que j’ai encore la marque de leur poésie vibrante sur la joue. Des cris, des échos, des rythmes et des compositions prenantes, les textes sont si bien incarnés qu’il est possible de les vivre. Comme la mélodie répétitive et entêtante de la guitare sur « Qu’on me plie » ou les hurlements électriques de « L’enfant cruel », l’instrumentation prend souvent une ampleur à laquelle il est difficile d’échapper; parfois déroutantes, souvent sublimes, les orchestrations sont partie intégrante de ce projet. Pas de piano larmoyant en musique d’ascenseur, mais des rythmes suivant ceux des textes, ou au contraire, assurant un contrepoint parfait.
Avec des plumes décomplexées et des rimes à l’identité forte, bien loin des clichés et de la fadeur actuelle des textes dits de « chanson française », ces spéléologues de la mélodie et de la poésie ont ajouté un pavé à l’édifice de l’écriture. Ce X marks the spot est en effet un trésor unique qu’il appartient à chacun de s’accaparer. Pour que les Enterré sous X ne soient plus des anonymes.